7ème édition

Rénovation énergétique
La santé en plus

Le 7e colloque national, le 4 juillet 2019,
Auditorium SMABTP à Paris

Adrien HENOCQAdrien Henocq, Architecte, Belus & Hénocq architectes

Rénovation d’un bâtiment agricole en Maison des étudiants de Marne-la-Vallée

Les matériaux biosourcés à l’épreuve des contraintes de budget, des normes, des compétences…

La rénovation de la Maison des étudiants de Marne-la-Vallée fait suite à un appel d’offres de la Région Île-de-France accompagnée par Icade, auquel vous avez répondu. L’approche biosourcée était-elle une contrainte imposée ?

Pas du tout, nous avons été moteur de cette démarche.

Il faut avant tout repositionner le contexte de ce bâtiment : une ferme fortifiée de la fin du 17ème siècle. C’est un bâtiment agricole très simple, en pierres des champs, pas en pierres de taille, qui a déjà traversé plusieurs siècles. Le remettre à flot pour qu’il en traverse un de plus était une sorte d’hommage à lui rendre. Il a été implanté et conçu de façon pertinente : sur un sol constitué de marnes vertes, mais entièrement drainé par des réseaux de fossés, des douves autour du bâtiment qui permettaient d’assainir les fondations et ensuite d’alimenter l’étang voisin. C’est tout un écosystème qui a été pensé à l’époque et on ne pouvait pas en faire abstraction dans notre approche.

Pour nous, c’était une aventure nouvelle et nous avons fait une note de motivation argumentée, qui a été acceptée, pour défendre notre vision lors de la soutenance. Nous avons abordé le projet avec la volonté de respecter ce bâti ancien en menant une réflexion globale, tenant compte à la fois de la structure fragile à préserver et des contraintes budgétaires.

Initialement, nous pensions réaliser une structure bois à l’intérieur de l’existant, une « boite dans la boite », car nous maîtrisons bien ce matériau, mais les contraintes techniques ne nous ont pas permis de déployer ce choix : un terrain de marnes vertes soumis à des gonflements et à des rétractations, la fragilité de l’enveloppe… Pour être conforme aux réglementations d’un ERP, nous devions réparer le bâti ancien et cela nous a donc obligé à choisir des solutions compatibles avec ces exigences. Nous avons dû reprendre intégralement en sous-œuvre et le fonder avec des pieux allant chercher le bon sol sous les marnes vertes.

En cherchant des matériaux qui nous permettaient de remplir notre double objectif - approche biosourcée et contraintes techniques - nous nous sommes dirigés vers une projection de béton et d’enduit chaux-chanvre pour l’isolation intérieure ; non seulement, c’est un matériau naturel ductile compatible avec le support qui permet de s’adapter aux irrégularités de la maçonnerie et limite les risques de fissurations, mais c’est également un complexe isolant qui met à profit la formidable inertie des murs maçonnés de plus de 50 cm d’épaisseur.

Pour la partie neuve, nous nous sommes tournés vers un autre isolant naturel : un mono-mur de pierre ponce. Même s’il ne s’agit pas d’un matériau biosourcé, il reste respectueux de l’environnement puisqu’il est constitué d’un agrégat de roches volcaniques au fort pouvoir isolant et d’une très faible quantité de ciment. Contrairement à la terre cuite, il consomme peu d’énergie grise.

Mise à part ces difficultés techniques spécifiques au site, quels ont été les autres obstacles à lever dans l’utilisation des matériaux biosourcés ?

A l’époque, en 2014, la filière chanvre était moins développée qu’aujourd’hui ; les règles professionnelles se mettaient en place au moment où nous menions le projet. Il n’existait pas de formation pour les architectes, nous nous sommes donc intéressés à des projets pilotes tel que la maison diocésaine de Châlons-en-Champagne ou la maison des petites bêtes pour le parc de Thoiry, pour étudier leurs façons de faire, et c’est ainsi que nous avons pu convaincre la maîtrise d’ouvrage de s’engager dans cette voie.

Nous avons aussi rencontré des applicateurs pour nous aider dans la description des ouvrages. Ils étaient alors très peu nombreux, d’autant que l’importance du chantier nécessitait le recours à une machine adaptée à la projection du chanvre et de la chaux très peu répandue. L’entreprise de gros œuvre qui ne connaissait pas du tout ce process a donc dû s’adjoindre en sous-traitance des compétences d’une entreprise spécialisée qui détenait à l’époque un quasi monopole.

Cela a-t-il été compliqué de convaincre la maîtrise d’ouvrage d’aller vers des matériaux biosourcés ?

Non, que ce soit ICADE, mandataire pour la région Île-de-France, ou la Région elle-même : tous deux ont été très réceptifs à cette idée. En revanche, convaincre le bureau d’études et le bureau de contrôle a nécessité plus de persuasion. Ils ne maîtrisaient pas vraiment ce process, nouveau pour eux, et avaient donc des réserves.  

Les autres éléments utilisés sont assez classiques : isolation de la toiture en panneaux sandwiches avec âme en laine de roche, menuiseries acier avec rupteurs thermiques et double vitrage… Si la maîtrise d’ouvrage a suivi sur le béton de chanvre pour l’isolation des murs, pourquoi ne pas avoir prolongé la démarche ?

Pour une question de budget ! Pour réussir à imposer ce genre de démarche, il ne faut pas être dogmatique. Au contraire, nous teintons notre approche environnementale d’une forte dose de pragmatisme.

Le béton de chanvre est encore une filière émergente, où la concurrence est limitée, même si cela se démocratise progressivement. En 2014, la filière du chanvre francilienne n’existait pas, le chanvre venait de l’Aube, ce qui, bien sûr, reste un circuit court, mais les coûts, à la fois du matériau et de sa mise en œuvre, n’étaient pas négligeables.

Ensuite, il y a la question normative. Les normes sont toujours en retard sur l’innovation, par définition, puisqu’elles valident des choses éprouvées. Heureusement, avec la Région, on a bénéficié d’une belle souplesse, mais néanmoins, nous ne pouvions pas proposer de solutions qui nécessitaient un Atex (appréciation technique d'expérimentation), tout simplement parce que cela aussi a un coût, et que ce n’était pas prévu au budget.

Enfin, nous privilégions des solutions constructives tout-en-un. Ici nous avons donc retenu le béton et l’enduit chaux chanvre pour isoler l’existant, les complexes de toitures industrielles pour répondre aux exigences thermiques et acoustiques en couverture, le mono-mur de pierre ponce pour le neuf… Chacune de ces solutions est retenue parce qu’elle apporte la meilleure réponse à une question donnée. Le projet architectural se dessine dans l’assemblage de ces différents process. Par ailleurs, nous trouvions tout à fait pertinent d’affirmer un dialogue permanent entre le neuf et l’ancien pour réaliser un projet résolument moderne.   

Quelles sont les autres actions pour le confort des occupants que vous avez mises en place ?

Avant de parler des autres actions, revenons sur le béton de chanvre qui a aussi de vrais atouts car il permet justement de jouer sur l’épaisseur des murs et l’inertie qu’elle engendre. Contrairement à d’autres isolants, le béton de chanvre est un matériau perspirant à changement de phase, c’est-à-dire qu’il joue le rôle de tampon hygrométrique entre l’intérieur et l’extérieur en laissant passer la vapeur d’eau et en régulant naturellement l’hygrométrie intérieure. Quand l’air intérieur est trop humide, le mur absorbe le surplus d’humidité, quand il est trop sec, le mur libère la vapeur d’eau qu’il a absorbé. L’effet de « paroi froide » particulièrement désagréable en hiver quand vous vous situez à côté d’un mur est ainsi supprimé. Le confort intérieur est donc atteint avec une température intérieure inférieure.

En été, le mur non isolé sur sa face extérieure se refroidit la nuit, et cette fraicheur migrant vers l’intérieur se transforme en vapeur d’eau qui refroidit la température ambiante du volume intérieur : il joue le rôle de climatiseur naturel. En hiver, le volume intérieur est chauffé du côté isolé, le complexe emmagasine la chaleur qu’il diffuse lentement dans les maçonneries. Quand le soir venu le chauffage est baissé, les murs restent chauds jusqu’au matin. Ce travail sur l’inertie et le changement de phase améliore donc très sensiblement le confort et le ressenti à l’intérieur. Cette conception encore trop peu répandue, s’oppose à la règle générale qui continue à privilégier des enveloppes aussi étanches à l’air que des aquariums, au détriment du confort intérieur.

L’autre action mise en place pour le confort thermique a été la protection solaire : les grandes verrières en toiture et le bac acier de couverture sont protégés d’une résille en aluminium qui permet un rafraichissement par convection naturelle. Au Sud, les ondes de la toiture en aluminium sont particulièrement efficaces pour se protéger du soleil aux heures les plus chaudes. Il n’y a pas de climatisation dans ce bâtiment, et les occupants ne se plaignent pas de la chaleur en été.

Quels sont les équipements techniques de chauffage, de ventilation ?

Nous utilisons une centrale de traitement d’air double flux, avec une GTB pour piloter les consommations, régler la température du bâtiment… La chaleur est récupérée dans les combles, afin de préchauffer l’air intérieur. La VMC pilotée et programmée par la GTB permet également d’assurer un rafraichissement nocturne en été.

En complément des ouvrants motorisés temporisés permettent l’évacuation de l’air chaud au sommet de la charpente au plus fort de l’été et garantissent qu’aucun ouvrant inaccessible ne soient laissé ouvert pendant les heures de fermetures ce qui se révélerait incompatible avec les objectifs de sécurité.

En revanche, pour la partie bureaux où l’usage d’une ventilation double flux était inappropriée du fait de l’intermittence de l’occupation de ces locaux (usages associatifs notamment), nous avons privilégié l’action humaine responsable : laisser les occupants avoir le plaisir d’ouvrir les fenêtres, c’est bien aussi !

Pour élargir le débat au-delà de ce projet, quels sont, selon vous, les moteurs et les freins de l’utilisation des matériaux biosourcés en rénovation ?

Dans le bâtiment, le rythme de la réglementation n’est pas aussi rapide que celui des innovations : on manque souvent de latitude. Par exemple, les calculs thermiques imposés ne sont pas adaptés aux matériaux comme le chanvre, puisque qu’ils ne prennent en compte que la résistance thermique et les déperditions, mais pas la diminution de l’effet « paroi froide », les bénéfices du changement de phase et les autres qualités de ce matériau. Cela évolue progressivement, mais il y a encore du travail !

Dans une réflexion plus globale, il faut décloisonner les coûts que sous-tendent une telle opération (démolition, reconstruction, coût en maintenance et en gestion et à nouveau coût de démolition en fin de vie). Ainsi cela ne coûte pas plus cher de réhabiliter que de démolir et reconstruire du neuf. Sur le projet de la Maison des étudiants de Marne-la-Vallée, nous sommes dans la même fourchette de coût, mais surtout, si nous avions refait du neuf, nous n’aurions jamais été en mesure de reconstituer les mêmes volumes. Dans certaines pièces, il y a jusqu’à 9m de hauteur sous plafond au centre, 4,5 m le long des murs. Utiliser, valoriser le patrimoine existant comporte bien d’autres avantages que la seule notion financière.

Il faut cesser de réfléchir à court terme : démolir, c’est créer des déchets à traiter. Reconstruire… c’est créer des déchets pour l’avenir ! Avec les matériaux biosourcés, on réfléchit à une autre échelle. C’est presque un engagement sociétal de l’architecte : d’abord, on fonctionne en circuit court, on fait travailler « les gens du coin », les agriculteurs, les PME qui font de la transformation ou mettent en œuvre le matériau. Ensuite, on utilise des matériaux qui seront facilement recyclables ou réemployables. Enfin, en utilisant des matériaux sains et biosourcés, on améliore la qualité de l’air intérieur pour les futurs utilisateurs sans apport de technicité excessive (source de dépense et de maintenance).

Un dernier message pour les participants des Défis Bâtiment Santé et nos lecteurs ?

Le bâtiment est un des secteurs d’activité qui produit le plus d’énergie grise, il est urgent d’y remédier. Favoriser la réhabilitation vertueuse, plutôt qu’une démolition-reconstruction productrice de déchets, utiliser des matériaux biosourcés en circuits courts sont des actes aussi urgents que consommer bio.  C’est à la fois bénéfique pour les utilisateurs et indispensables pour l’économie des ressources naturelles.

Interview du 18 mars 2019 réalisée par Marie Bérenger de Kita Organisation pour Bâtiment Santé Plus  


Adrien Hénocq est diplômé de l’école d’architecture-Paris-Tolbiac sous la direction d’Alexandre Chemetoff. Associé avec Guillaume Belus, ils fondent d’abord l’agence Groupe des Cinq de 1998 à 2001. Jusqu’en 2008, ils travaillent pour des particuliers, obtiennent leurs premières commandes et collaborent avec Dusapin Leclercq, Olivier Chaslin, Virginie Picon Lefebvre architectes ainsi qu’avec L’Atelier de Paysages Bruel-Delmar.
La création en 2008 de l’agence Belus & Hénocq architectes confirme le développement de leur activité dans le secteur de la commande publique. Logements, aménagements urbains ou équipements…
Adrien Hénocq est régulièrement sollicité comme enseignant vacataire. Il a notamment enseigné à l’École nationale du paysage de Versailles (2012) auprès de Charles Dard ainsi qu’à l’École d’architecture de la ville et des territoires de Marne-la-Vallée entre 1999 et 2004. Par ailleurs, il est appelé comme consultant dans le cadre de cycles de formation. Il a notamment assuré des formations sur la construction bois pour le groupe Procivis, filiale du Crédit Immobilier de France.

Adrien Hénocq présentera ce projet sous la forme d’un poster lors de la 7ème édition des Défis Bâtiment Santé : « Rénovation énergétique, la santé en plus », le 4 juillet à Paris (Auditorium SMABTP).

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