7ème édition

Rénovation énergétique
La santé en plus

Le 7e colloque national, le 4 juillet 2019,
Auditorium SMABTP à Paris

Rénovation du bâti ancien : la coordination des acteurs, clé de l’approche globale énergie, carbone, environnement et bien sûr santé !

Andrés LITVAK 
Andrés LITVAK,
Responsable du groupe Bâtiment-Construction
au CEREMA Sud-Ouest,
en charge du développement
du Centre de ressources CREBA

Élodie HÉBERLÉ 
Élodie HÉBERLÉ,
Responsable d'activités
"Performance énergétique
des bâtiments" au Cerema Est
Responsable technique du CREBA

Avant d’entrer dans le coeur du sujet, pouvez-vous nous repréciser ce qu’on entend par « bâti ancien » ?

Andrés Litvak
On peut classer les bâtiments en 3 périodes : ceux bâtis avant 1948, ensuite de 1948, phase de reconstruction après-guerre, jusqu’au choc pétrolier de 1973 et enfin, à partir de 1973, date d’apparition des premières
réglementations thermiques.

Chaque catégorie représente environ 10 millions de logements, soit un parc total d’environ 30 millions. Il ne faut pas croire que le parc le plus vieux est le moins performant, c’est au contraire la période 1948-1973 qui
est la plus énergivore.

Il faut aussi préciser que, de notre point de vue, une petite ferme en pleine campagne appartient au patrimoine comme un bâtiment historique. C’est ce qu’on appelle le patrimoine vernaculaire qui, certes,
n’est pas protégé institutionnellement, mais qu’il faut rénover énergétiquement pour que ce patrimoine continue de vivre et d’être habitable.

Quelles sont les difficultés spécifiques lors de la rénovation de ce type de bâtiments ?

Andrés Litvak
On rencontre deux problématiques majeures : le renouvellement d’air hygiénique pour les occupants et les pathologies constructives avec condensation, humidité et apparition de moisissures. Cela a plusieurs
conséquences : pour la santé des occupants et la qualité de l’air, pour l’aspect esthétique et le confort visuel, mais aussi pour la structure du bâtiment, qui peut souffrir lorsque l’humidité stagne dans les murs.

En règle générale, il s’agit d’une problématique de ventilation : souvent dans le bâti ancien, l’étanchéité n’est pas parfaite et le renouvellement d’air se fait en partie par les infiltrations parasites que la rénovation corrige.
Or, de nombreux travaux de rénovation sont réalisés par des artisans qui maîtrisent un seul corps de métier, voire directement par les particuliers eux-mêmes, et les interventions sur l’enveloppe ou les menuiseries ne
s’accompagnent alors pas d’une vision globale et d’un travail adapté sur la ventilation.

Élodie Héberlé
Les pathologies constructives sont, quant à elles, souvent induites par de mauvais choix d’isolation des murs anciens. En effet, tous les isolants ne sont pas adaptés au bâti ancien, surtout en isolation par l’intérieur. Les isolants peu perméables à la vapeur et peu capillaires (polystyrène) ou mal mis en oeuvre (pare-vapeur) peuvent emprisonner l’humidité dans ces murs. C’est dangereux pour la structure (notamment lorsque la moisissure attaque les planchers en bois), mais aussi dans certains cas pour la santé, lorsque l’humidité provoque des moisissures dans et sur les murs anciens.

C’est tout l’enjeu des travaux du CREBA - Centre de Ressources pour la Réhabilitation du Bâti Ancien – de proposer une approche responsable et équilibrée au niveau du patrimoine, recherchant l’efficacité énergétique, sans oublier de la positionner dans une démarche globale, pour éviter que des pathologies se développent dans les années qui suivent la rénovation.

Parmi les bâtiments concernés, certains sont classés. N’avez-vous pas de difficultés à trouver des solutions à la fois performantes et acceptables par les Architectes des Bâtiments de France (ABF) ?

Andrés Litvak
Il existe toujours une marge de manoeuvre avec les ABF avec des techniques qui leur conviennent. Souvent l’extérieur du bâtiment est classé, mais nous sommes libres de nos interventions à l’intérieur.

Élodie Héberlé
Par exemple, pour un bâtiment Haussmannien classé ou inscrit, a priori difficilement modifiable, on peut utiliser les conduits de cheminée, si cela s’y prête, pour installer une ventilation double flux. Ou encore, on
peut s’appuyer sur les menuiseries bois pour cacher les réglettes d’aération.

Les ABF sont assez loin de l’image qu’on a parfois d’eux. Ils sont généralement dans le compromis et ils ont compris qu’il fallait réaliser des rénovations énergétiques désirables pour les occupants et les acheteurs car,
sans intérêt de leur part, cela ne servirait pas à grand-chose de défendre le patrimoine.

Andrés Litvak
Les ABF sont des architectes du patrimoine, c’est-à-dire des architectes qui, par exemple, ont fait l’école de Chaillot et se sont ensuite dirigés vers des fonctions dans l’administration, mais ils peuvent tout autant en
sortant de cette formation se diriger vers une carrière d’architecte libéral. Dans les faits, leur vision raisonne assez bien avec les préoccupations quotidiennes.

Lorsque les solutions techniques sont complexes, le coût des travaux s’en ressent. Comment convaincre alors les maîtres d’ouvrage, et notamment les particuliers, d’investir dans des travaux globaux ?

Élodie Héberlé
Bienvenue dans notre vie quotidienne ! On fonctionne avec des bouquets de travaux pour essayer d’atteindre un résultat optimal par rapport au budget investi. Mais cela ne concerne pas que le bâti ancien,
tous les types de bâtiments sont concernés par cette problématique.

Il y a également les aides, telles que le CITE, qui peuvent permettre aux particuliers de se lancer. Mais elles ont parfois des effets pervers. Le CITE a souvent été un prétexte pour changer les fenêtres anciennes, alors
que les fenêtres ne sont pas forcément le poste le plus déperditif dans le bâti ancien et qu’on peut les réparer plutôt que de les changer. Autre point : des ventilations ont très rarement été mises en oeuvre en même
temps que ces nouvelles fenêtres, ce qui a très probablement provoqué de nombreuses moisissures.

Élodie Héberlé
Les programmes de subvention sont aussi améliorables. Par exemple, « Habiter Mieux » de l’ANAH se concentre sur l’étiquette énergie et vise une réduction de 25 % de la consommation, mais ne prend pas en
compte les matériaux utilisés, la ventilation ou d’autres dimensions… Si vous changez vos fenêtres et que cela engendre des moisissures un peu plus tard, cela n’a pas d’impact sur l’obtention de la subvention.

La problématique ne s’arrête pas aux particuliers et aux coûts. Nous avons pu observer un monastère classé, converti en centre de formation. Toutes les fenêtres ont été changées, sur-mesure, pour un budget conséquent, avec une subvention de l’Etat. Même dans ce projet qui aurait pu être exemplaire, les différents acteurs – menuisier, maître d’oeuvre, bureau d’étude… — n’ont pas échangé entre eux et les fenêtres mises en place l’ont été sans réglettes pour l’aération. Très vite l’humidité s’est installée dans les salles de classe, et des moisissures sont apparues… Pour résoudre, le problème, la seule solution est de faire des trous à la perceuse dans ces magnifiques fenêtres. Le CREBA a pour objectif d’éviter ce type d’erreurs ! Nous voulons donner l’occasion aux architectes, ingénieurs et artisans de se parler, évoquer les spécificités de la rénovation énergétique, de la santé … au regard de leur métier respectif, afin d’éviter les pathologies, mais aussi le gaspillage financier.

Les professionnels semblent donc insuffisamment formés et informés des bénéfices d’une approche globale de la rénovation ?

Andrés Litvak
Près de 80 % des travaux de rénovations de maisons individuelles sont prescrits par des artisans. Ils sont d’importants prescripteurs, mais il est vrai qu’ils adoptent peu souvent une approche transversale et
systémique qui est pourtant nécessaire.

Tout d’abord, peu d’entre eux connaissent la réglementation sur la rénovation datant de 2007, qui demande que, lorsqu’un client change ses menuiseries, le professionnel lui propose une solution associée de
renouvellement d’air. Cette obligation de conseil est ignorée et le remplacement des fenêtres entraîne trop souvent de mauvais résultats : l’étanchéité, sans ventilation adaptée, conduit à des pathologies
constructives. Par ailleurs, l’artisan exerce un métier : s’il vend des menuiseries, il ne va pas a priori préconiser d’isoler les combles ou l’enveloppe.

Élodie Héberlé
Pour associer qualité du renouvellement d’air, performance énergétique et esthétique architecturale, c’est parfois un casse-tête technique de mettre en place un système de ventilation efficace afin que le bâtiment
respire.

Andrés Litvak
Le CREBA propose un outil d’aide à la décision, un guide pour identifier les travaux les plus pertinents à réaliser, les risques associés au niveau de l’énergétique, du patrimoine ou de la technique, les points
d’attention à avoir, afin que les professionnels comprennent la complexité d’une approche globale.

Élodie Héberlé
L’approche globale est loin d’être évidente en France. La culture veut qu’on se lance soi-même. En Allemagne, c’est inimaginable de réaliser des travaux sans faire appel à un architecte. Mais un artisan bien
formé serait tout à fait en mesure d’accompagner une rénovation globale d’un particulier. En plus, de bons retours d’expérience, sans apparition de pathologies, permettraient de réduire les craintes vis-à-vis des
travaux. C’est notamment l’objet du programme Oktave dans l’Est, une plateforme qui accompagnent les particuliers de A à Z dans leurs projets de réhabilitation afin de générer de la confiance.

Comment aider la profession à monter en compétences sur le sujet ?

Andrés Litvak
Nous sommes conscients que les artisans ont peu de temps pour se former. Au niveau du Cerema, nous travaillons sur des MOOC. Le 1er, en partenariat avec la plateforme Tipee, a débuté le 26 mars. Intitulé « QAI
: ventiler pour un air sain », il est découpé en 5 séquences correspondant à 5 semaines :

  • La qualité de l’air intérieur
  • La ventilation, une solution
  • Concevoir un système de ventilation en résidentiel (neuf et rénovation)
  • Contrôler et entretenir un système de ventilation

Pour en savoir plus et suivre le MOOC « QAI : ventiler pour un air sain »
rendez-vous sur ce lien.

D’autres actions sont en cours de développement. Elles ne sont pas assez avancées pour que nous puissions les annoncer aujourd’hui, mais nous pouvons déjà dire que ce ne sera pas le seul MOOC auquel nous allons
participer, notamment sur le sujet du bâti ancien. Bien sûr, pour approfondir, les formations classiques de terrain sont indispensables mais le format MOOC est une première forme d’accompagnement qui permet de
massifier, notamment via des plateformes largement reconnues par les professionnels du bâtiment.

Nous observons aussi une prise de conscience chez certains maîtres d’ouvrage, notamment des bailleurs sociaux, qui accélèrent leur dynamique de rénovation et font appel à nous pour former leurs équipes et
animer les échanges entre les différents acteurs afin d’assurer la transversalité de la démarche toute au long des différentes phases de rénovation.

On parle beaucoup humidité et moisissures. Quelles sont les spécificités du bâti ancien pour les autres polluants de l’air intérieur ?

Andrés Litvak
On a moins étudié et donc moins pris en compte les COV. Au CREBA, on privilégie d’office l’utilisation de matériaux biosourcés, la peinture et des revêtements naturels… qui correspondent à notre philosophie, mais
cela ne fait pas l’objet des mêmes analyses.

Élodie Héberlé
Au-delà des matériaux de construction, il y a un vrai enjeu sur tous les produits liés au quotidien des occupants : ce n’est pas assez abordé sur le bâti ancien, mais le comportement des occupants est clé pour la
qualité de l’air de leur logement.

Avec le label E+ C-, le sujet de l’efficacité énergétique s’accompagne désormais de celui du bas carbone. Quels sont les avancées en ce sens pour le bâti ancien ?

Andrés Litvak
Nous travaillons étroitement avec Effinergie, notamment pour la création du nouveau label expérimental « Effinergie Patrimoine ». La logique suivie est la même que pour les autres labels : dans un premier temps,
les exigences qu’il proposera seront appliquées de manière volontaire par les maîtres d’ouvrage et l’objectif est de préfigurer les prochaines réglementations. Pour l’instant, le calendrier n’est pas précisé, cela dépendra
de l’appropriation par le secteur.

Élodie Héberlé
N’oublions pas qu’en matière de carbone, l’ancien part avec un point fort : celui d’avoir déjà été construit !

Existe-t-il des outils d’évaluation dédiés au bâti ancien ?

Élodie Héberlé
Il existe une charte CREBA, que nous avons rédigées en collaboration avec nos partenaires, pour la réhabilitation responsable du bâti ancien, avec des recommandations précises, élément par élément, des
exemples de bonnes pratiques, des retours d’expérience sur ce qui fonctionne… mais pas d’outil d’évaluation à proprement parler.

Un dernier mot pour les participants des Défis Bâtiment Santé et les lecteurs de cet entretien ?

Elodie Héberlé
Que chaque acteur exprime son point de vue, sa vision, ses contraintes pour trouver un compromis équilibré, source de performance énergie, carbone et santé !

Interview du 8 mars 2019 réalisée par Marie Bérenger de Kita Organisation pour Bâtiment Santé Plus


Andrés LITVAK est ingénieur et a un doctorat sur la qualité de l’air intérieur (QAI) . Depuis 1993, il a développé une expertise sur l’efficacité énergétique, sur l’étanchéité à l’air et la QAIau Lawrence Berkeley
Laboratory (USA) et au CETE. Il publie régulièrement des articles scientifiques. Il a mis en oeuvre et dirigé pendant 9 ans le centre de ressources interprofessionnel régional Construction Durable et Performance
Énergétique en Aquitaine (CDPEA qui a sensibilisé et formé plus de 16 000 professionnels). Depuis 2016, il est en charge du domaine Bâtiment-Construction au CEREMA Sud-Ouest (Bordeaux). Il a participé aux travaux
des programmes PREBAT, RAGE 2012 et PACTE et a piloté le développement de portails web, de serious games et de MOOC. Il pilote et a en charge le développement et les partenariats du centre de ressources
CREBA.

Élodie HÉBERLÉ est ingénieur, titulaire d’un master 2 en bâtiment, responsable d’activités "Performance énergétique des bâtiments" au groupe Bâtiment du CEREMA Est. Elle est reconnue experte dans son domaine
par le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire.
Elle travaille depuis 2009 sur la question des transferts hygrothermiques et de la rénovation énergétique des bâtiments anciens. Entre 2010 et 2013, elle contribue activement au projet "HYGROBA : étude de la
réhabilitation thermique de parois anciennes". Entre 2011 et 2015, elle pilote l’étude "Habitat ancien en Alsace : amélioration énergétique et conservation du patrimoine", commanditée par la DREAL et la DRAC
Alsace. Elle intervient actuellement dans les deux projets PACTE portés par le CEREMA Est, CREBA (« Centre de ressources pour la REhabilitation responsable du Bâti Ancien ») et OPERA (« Outils pour la Prise En compte
des Risques hygrothermiques lors de réhabilitation de parois Anciennes »). Elle a coordonné l'ensemble des contenus techniques du projet CREBA et la production des retours d'expériences en particulier.

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