7ème édition

Rénovation énergétique
La santé en plus

Le 7e colloque national, le 4 juillet 2019,
Auditorium SMABTP à Paris

Simulation de la QAI : fiabiliser les résultats et faire évoluer les modèles grâce à l’analyse comparative

Bernard COLLIGNAN 
Bernard COLLIGNAN,
Expert physico-chimie - Sources et Transferts de polluants,
Département santé et confort, CSTB

Maxence MENDEZ 
Maxence MENDEZ,
Fondateur, Octopus Lab

Vous menez ensemble, et avec deux autres acteurs, QUALITEL et ARTELIA, une étude permettant de confronter les résultats de vos outils respectifs de modélisation de la QAI (MATHIS-QAI pour le CSTB et INDALO pour Octopus Lab), mais aussi avec les concentrations réellement mesurées. Comment est né ce projet et quel est le rôle des acteurs ?

Bernard Collignan

Le point de départ est une demande de QUALITEL, qui souhaite toujours faire évoluer les exigences de son référentiel de certification en termes de qualité de l’air intérieur notamment.

Maxence Mendez

Le référentiel du Groupe QUALITEL évalue la qualité du logement en conception ; ce n’est pas leur vocation de faire des contrôles en exploitation. La certification doit donc s’appuyer sur une projection de la performance QAI, et celle-ci doit être fiable.

Bernard Collignan

On a lancé ce projet d’expérimentation sur des logements certifiés NF Habitat proposés par QUALITEL, avec les équipes du CSTB, non seulement en simulation avec MATHIS-QAI, mais aussi pour réaliser les mesures sur site, via l’équipe de Corinne Mandin. Dans ce cadre, Octopus Lab réalise également des simulations avec INDALO pour se comparer aux résultats obtenus. CERQUAL certifie les opérations liées au logement, ARTELIA nous a rejoint pour les expérimentations en bâtiments tertiaires.

Défis Bâtiment Santé 2019. « Rénovation énergétique, la santé en plus ». Interview de Bernard Collignan et Maxence Mendez 2 Nous observons actuellement une évolution vis-à-vis de la perception de la QAI : nous passons d’une obligation de moyens à une obligation de résultats. Jusqu’ici, les exigences des référentiels et les obligations réglementaires concernent les niveaux de ventilation, d’humidité, de risque de condensation et de dégradation du bâti pour les logements. Les analyses portent également sur la présence de CO2 métabolique, qui est un traceur du confinement, ou sur l’apparition de moisissures… mais cela ne fait pas tout car la QAI dépend de nombreux autres facteurs et notamment des sources spécifiques d’émissions dans le bâtiment : matériaux, mobilier, activités, etc., ou des risques de transfert de polluants depuis l’extérieur. En adoptant une approche résultats, cela permet de s’interroger sur l’ensemble de ces facteurs, ce que permettent, dès la conception, nos outils de modélisation. Et comme nous sommes dans une démarche scientifique, il est nécessaire de les confronter à la réalité pour valider leurs résultats avant qu’ils puissent être utilisés dans le cadre d’évolutions de certifications ou labels.

Maxence Mendez

Nos outils sont basés sur deux développements différents avec chacun sa propre logique, ses avantages et ses inconvénients, cet exercice est très enrichissant pour tous.

Pourquoi soutenir cette démarche ?

Depuis 45 ans, l’Association QUALITEL oeuvre à trouver des solutions pour améliorer la qualité des logements en France. Elle mène des programmes de recherche dans tous les domaines qui contribuent à cette qualité, en adéquation avec les attentes des habitants d’aujourd’hui. L’air intérieur étant plus pollué que l’air extérieur, QUALITEL a placé la santé et la qualité de l’air intérieur comme l’une de ses priorités. Depuis plusieurs années, sa filiale de certification CERQUAL tend à orienter son référentiel vers des exigences de résultats et non plus de moyens. Et le développement d’indicateurs permettant d’évaluer la QAI en conception d’un logement est une ambition forte. Ainsi, CERQUAL a souhaité évaluer dans un premier temps les outils déjà existants : INDALO et MATHIS-QAI.

ARTELIA est un groupe international de conseil, d’ingénierie et de management de projet. Au travers de l’expérience des ingénieurs du département Bâtiments Durables, qui intervient sur l’ensemble du cycle de vie d’un projet, depuis plus de 10 ans, pour piloter et suivre la performance environnementale, énergétique d’une opération et assurer le confort des futurs utilisateurs, le conseil en conception et le suivi en chantier ne suffisent pas à garantir une bonne qualité de l’air intérieur. Des simulations en conception sont nécessaires pour aider au choix des solutions techniques et architecturales. Participer à cette collaboration est un premier pas pour faire avancer ce sujet, enjeu de santé publique, et pouvoir, à terme, mettre en oeuvre un véritable commissionnement de la qualité de l’air intérieur.

Comment travaillez-vous ensemble et quels sont les enseignements tirés de cette expérimentation ?

Bernard Collignan

L’un des principaux enjeux dans la modélisation, c’est la disponibilité des données utilisées. Vous pouvez avoir un modèle le plus sophistiqué possible, si les données ne sont pas fiables, le résultat ne sera pas bon.

Les expérimentations menées ne sont pas une fin en soi, leurs résultats doivent être évalués avec un oeil critique, et c’est pourquoi la possibilité de comparaison est un atout. Mais ici encore, il faut être précis dans les critères choisis pour pouvoir donner des résultats représentatifs : si on fait une mesure ponctuelle une fois ou si on mesure toute une semaine, ou encore si on effectue plusieurs mesures étalées sur un an. Les résultats sont impactés et l’analyse doit donc être réalisée en intégrant bien la façon dont les mesures ont été faites. Plus particulièrement dans ce projet, l’idée est de comparer les mesures à des résultats de calcul : les campagnes de mesure ont donc été pensées dans ce but. Pour la partie modélisation, on a défini un jeu commun d’hypothèses et de données d’entrée pour que les résultats de chaque outil soient les plus comparables possible. En effet, même si les deux outils calculent des concentrations de polluants, nous n’avons pas tout à fait les mêmes types d’hypothèses et de calcul et les données d’entrée sont utilisées différemment par les deux modèles. Aujourd’hui, la réalisation et l’analyse des calculs sont en cours, mais les premiers résultats obtenus sont cohérents avec les valeurs expérimentales en première approche.

Maxence Mendez

La méthodologie est la suivante : QUALITEL nous fournit les infos dont ils disposent sur le bâtiment : les matériaux utilisés, la maquette, les plans des circuits de ventilation, etc. Nous faisons les simulations de concentration des différents polluants. L’une des difficultés, comme le disait Bernard, c’est la précision des données. Nous avons une base de données génériques sur les matériaux que nous utilisons en l’absence de transmission d’informations sur certains d’entre eux, mais cela peut être source d’erreurs. La qualité des données entrantes est clé, comme le montrent les résultats observés : lorsqu’il s’agit de matériaux avec étiquetage, ils sont bien similaires aux mesures in situ. Dès que nous sommes hors étiquetage et utilisons des données génériques, on observe des divergences.

Dans une deuxième phase d’expérimentation, le CSTB a donc réalisé des évaluations d’émissions des matériaux réellement utilisés à l’intérieur des logements. Ces nouvelles données ont été intégrées dans le modèle. Cette étape permet de s’affranchir d’une source d’erreurs et de fiabiliser les résultats.

Enfin, la troisième phase consiste à mesurer in situ la QAI globale du bâtiment.

Bernard Collignan

Nous n’avons pas encore tout exploité concernant ce projet : suite aux campagnes de mesure, on va aussi analyser la pertinence de la prise en compte de certains mécanismes physicochimiques dans nos modèles.

Nous travaillons dans cette logique : nous faisons évoluer nos modèles, chaque expérimentation permet de développer et d’étudier de nouvelles fonctionnalités dans nos outils. Cette méthode est riche d’enseignements. Il est rare mais précieux de pouvoir se comparer ainsi à des résultats expérimentaux et d’effectuer de nouveaux développements au fil des observations.

Quelles sont les grandes lignes de calendrier pour l’exploitation des résultats de cette expérimentation ?

Bernard Collignan

L’exploitation des résultats est encore en cours. Pour l’expérimentation sur les logements avec QUALITEL, les mesures in situ sont faites et nous analysons actuellement les comparaisons avec les modélisations. Ce projet sera le premier finalisé.

Ensuite, nous travaillons sur la maison expérimentale MARIA du CSTB, qui permettra d’avoir une approche intégrant le mobilier et donc de mieux maîtriser l’ensemble des facteurs impactant la QAI.

Enfin, l’expérimentation sur les bureaux avec ARTELIA a eu lieu en mars dernier et les résultats sont en cours d’exploitation. ARTELIA est également béta testeur de l’outil MATHIS QAI, ce qui permet d’avoir la vision très opérationnelle et concrète, d’un bureau d’études et d’ingénierie, acteur identifié comme futur utilisateur de l’outil de simulations.

Maxence Mendez

Côté logements, nous devons aboutir à un indice de QAI sur lequel QUALITEL pourra s’appuyer : une métrique objective visant à permettre de constater si la QAI d’un bâtiment est suffisante ou non. Le but est de sortir de tout préjugé et d’établir un indicateur crédible en fonction des observations que nous aurons menées.

Bernard Collignan

La définition d’un référentiel QAI est une tâche complexe : en fonction des objectifs, certains polluants seront définis comme prioritaires et l’indice QAI devra non seulement préciser ces priorités, mais aussi définir des valeurs moyennes, des occurrences, des seuils de dépassement… Le cadre réglementaire est assez peu développé… beaucoup reste à faire !

Le but est de développer un outil d’aide à la décision, appuyé sur une vérification en amont et en aval de la QAI, qui permette de réaliser les choix constructifs, de matériaux, de définir des scénarios de ventilation pertinents, etc., en connaissant l’impact qu’ils auront sur la QAI.

Ces avancées techniques seront-elles accessibles pour être largement utilisées par les acteurs du bâtiment ? Le coût de l’étape modélisation, l’impact financier pour les maîtres d’ouvrage qui fonderaient leurs choix sur les recommandations issues des simulations… vos modèles vont-ils / iront-ils jusqu’à proposer des simulations budgétaires ?

Maxence Mendez

Pour INDALO, on vise les bureaux d’études : on aimerait qu’ils soient utilisateurs de ces simulations comme ils le font déjà pour la simulation thermique et l’énergie. Ils sont d’autant plus concernés qu’il y a une interaction entre les deux : on ventile plus pour la santé, mais il ne faut pas surventiler pour conserver un bon bilan énergétique.

De notre côté, on ne propose pas un logiciel qui fait tout : énergie et QAI, et encore moins le budget. On propose un module « santé » et on encourage les BE à ce que l’ensemble soit porté par la même personne en interne. Nous estimons important qu’une intelligence humaine réfléchisse à la bonne utilisation des outils pour faire les bons compromis : air, énergie, coût.

Bernard Collignan

Les outils qui font tout, il faut s’en méfier ! L’analyse économique doit se faire elle aussi dans une approche globale, et c’est un professionnel qui doit la conduire et réaliser les arbitrages sur les matériaux et les choix techniques les plus opportuns.

Maxence Mendez

Il faut aussi considérer qu’INDALO est BIM compatible. Les outils BIM ont déjà des modules de calcul des coûts, et ils doivent être pilotés par des économistes de la construction, car ce sont eux qui connaissent le coût des matériaux, de la mise en oeuvre technique, du transport, etc.

En termes de diffusion des connaissances, une action de « communication » est-elle prévue ?

Maxence Mendez

Chez Octopus Lab, on forme nos clients dès qu’ils achètent le logiciel. La pédagogie fait partie intégrante de notre activité.

Bernard Collignan

Pour l’instant, nous nous attachons à démontrer que les modèles fonctionnent. QUALITEL voulait d’abord disposer d’une étude préalable et d’une analyse de la pertinence des outils de modélisation avant de penser aux aspects communication. Pour ce qui concerne le CSTB, notre offre de formations propose plusieurs formations relatives à la QAI.

Quelle exploitation et communication des résultats ?

La première étape est de valider les méthodes permettant d’évaluer la QAI dans les logements en conception. En tant que certificateur, c’est-à-dire tierce partie indépendante et organisme accrédité par le COFRAC, nous ne pouvons pas imposer d’outils, par contre nous pouvons définir des niveaux de performance à atteindre. L’idée ultime est bien sûr de pouvoir faire évoluer nos exigences pour garantir aux occupants de logements certifiés une bonne qualité de l’air à réception.

Le mot de la fin ?

Bernard Collignan & Maxence Mendez

Ce qui est particulièrement intéressant dans ce projet, c’est l’intervalidation par des tiers : nous réalisons les simulations avec deux outils différents, l’équipe de Corinne Mandin du CSTB fait les mesures réelles ainsi que l’analyse de l’intercomparaison, et nous rendons des comptes aux deux soutiens de cette étude. Ces interactions, avec des acteurs de référence, appuient la valeur et la crédibilité de la démarche, et c’est une bonne nouvelle pour la QAI que QUALITEL et ARTELIA s’impliquent ainsi.

Interview du 14 mai 2019 réalisée par Marie Bérenger de Kita Organisation pour Bâtiment Santé Plus


Bernard COLLIGNAN, ingénieur de recherche, PhD, expert international en gestion de la qualité de l'air intérieur et des polluants gazeux du sol, travaille au CSTB depuis 1996, dans le domaine de la thermique et de la ventilation des bâtiments puis de l'évaluation et de l'amélioration de la qualité de l'air intérieur.

Impliqué depuis plusieurs années dans différents programmes de recherche européens (ERRICCA 2, RADPAR) et nationaux dans le domaine de la gestion de l'impact des polluants gazeux du sol sur la qualité de l'air intérieur : pollution industrielle (COV) ou naturelle (radon). Membre de différents comités de gestion du radon et des sols pollués au niveau national : Plan national d’Action sur la gestion du Radon (PnAR), réseau « ESSORT » de l’ADEME sur les sites et sols pollués, Rechercher, Partager et innover, il est également membre du comité exécutif d'ERA (European Radon Association - http://radoneurope.org/).

Maxence MENDEZ est le co-fondateur d’Octopus Lab, société spécialisée dans la prévision de la qualité de l’air intérieur à destination des acteurs de la construction. Docteur de l’Université de Lille en sciences de l’atmosphère, sa thèse portait sur la mesure et la simulation des interactions entre particules fines et gaz oxydants de l’atmosphère.

De 2013 à 2016, il a pris part au projet MERMAID (ADEME PRIMEQUAL) afin d’étudier l’impact des constructions performantes en énergie sur la qualité de l’air intérieur via le développement d’INCAIndoor, outil de simulation destiné à prévoir et analyser les processus impactant la pollution de l’air. A l’issue de ce projet, il créé Octopus Lab afin de valoriser ces travaux de recherche et apporter une nouvelle expertise au secteur de l’immobilier.

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