Joëlle Goyette Pernot, délégué radon de l’Office fédéral de la santé publique en Suisse, répond à nos questions sur un des thèmes majeurs des Défis Bâtiment Santé 2019.
Le radon, un cancérogène naturel, oublié des rénovations !
Les retours d’expériences suisses
La thématique de cette 7ème édition des Défis Bâtiment Santé est « Rénovation énergétique, la santé en plus ». Pouvez-vous nous expliquer en quoi le radon illustre l’importance de prendre en compte la santé lors des rénovations énergétiques ?
Depuis plusieurs années, la littérature scientifique pose la problématique de l’augmentation de la concentration de radon après rénovation, et ce constat se confirme avec de nouvelles études récentes. A l’échelle de la Suisse Romande, sur un petit échantillon d’une cinquantaine de bâtiments dans lesquels des mesures ont été faites avant et après rénovation, on observe une tendance à l’augmentation de la concentration du gaz, d’autant plus marquée si la rénovation énergétique est globale et le bâtiment situé en région réputée à risque élevé en radon. Quand l’ensemble de l’enveloppe extérieure a été isolée (toiture, fenêtres, façades…), cette augmentation mesurée est d’environ 40% après rénovation ! Au Tessin des résultats similaires ont été obtenus par Pampuri et al. (2018) qui notent une augmentation de 33% de la concentration après remplacement des fenêtres traditionnelles par des fenêtres plus performantes.
+ 40 %
c’est l’augmentation observée de radon après une rénovation énergétique globale
Comment expliquer ce phénomène ?
En créant des « maisons thermos » pour empêcher l’énergie de sortir du bâtiment, on empêche aussi le radon de s’évacuer. Dans ces rénovations, l’étanchéité des surfaces en contact avec le terrain est rarement traitée. Il n’y a donc pas plus de radon qui pénètre dans le bâtiment après la rénovation, en revanche, après rénovation, il est piégé à l’intérieur. Ainsi, en Suisse où les logements traditionnels sont peu équipés de systèmes de renouvellement d’air, la concentration de radon augmente, mais pas seulement : c’est aussi vrai pour les COV, l’humidité, le développement des moisissures…
La prise en compte du radon dans la rénovation, contrairement à la dimension efficacité énergétique, ne fait pas l’objet de subventions : quelles sont les bonnes pratiques à mettre en oeuvre en restant dans des budgets accessibles pour les propriétaires ?
Chaque cas est différent et il n’est pas possible de donner une méthode applicable à toutes les rénovations. Sur le principe, les solutions qui existent sont assez simples. Soit on évacue le radon avant qu’il n’entre dans le bâtiment en allant le chercher directement dans le terrain (système du puisard radon équivalent à la mise en dépression du terrain), soit on l’empêche d’entrer dans le bâtiment en garantissant une bonne étanchéité des surfaces en contact avec le terrain ou enfin, si le gaz s’infiltre tout de même soit on l’évacue, soit on change l’affectation du sous-sol ou son accès afin d’éviter au mieux le contact avec les espaces de vie. Dans tous les cas la méthode choisie doit s’analyser au regard de nombreux critères : la nature du sol, la géologie, la nature constructive du bâtiment, la présence ou non d’un vide sanitaire… tout ceci, ainsi que la taille du bâtiment, a un impact sur le coût financier de l’opération. Le budget nécessaire peut donc s’étendre de quelques centaines à plusieurs milliers de francs suisses.
Probabilité [%] de dépassement de la valeur de référence de 300 Bq/m3
Pour envisager le traitement du radon, encore faut-il avoir conscience de sa concentration dans son logement. A travers quelles opérations la prise de conscience s’opère-t-elle ?
La situation de la Suisse et celle de la France ne sont pas identiques. En Suisse, dans le courant des années 90, la confédération et les cantons ont mené des campagnes de mesures pour établir le cadastre du radon. Près de 150 000 bâtiments ont été mesurés, laissant apparaitre certaines régions plus impactées par cette problématique que d’autres. A l’époque la valeur règlementaire était de 1 000 Bq/m3 d’air.
Aujourd’hui, la réglementation a aussi récemment évolué. :
- La Suisse dispose d’une règlementation relative au radon dans le bâtiment par le biais de l’ordonnance sur la radioprotection depuis 1994. La version révisée de cette dernière est entrée en vigueur le 1er janvier 2018. La Suisse entière est désormais considérée comme étant une région où la vigilance est de mise.
- Les cantons ont jusqu’à 2020 pour inscrire dans leur code de la construction l’obligation de prendre en compte le radon dans toute opération de construction neuve ou de transformation du bâtiment existant.
- L’ordonnance de 2018 vise ainsi à inciter les professionnels à respecter la valeur de référence de 300 Bq/m3 dans les constructions neuves. Cela implique donc de sensibiliser et former les professionnels aux mesures préventives. Le propriétaire sera pour sa part, systématiquement avisé dès 2020 à l’occasion de la procédure d’obtention du permis de construire, de la nécessité d’effectuer une mesure de contrôle à la réception du bâtiment qui seule pourra assurer l’atteinte des objectifs fixés contractuellement. Ainsi, en cas de dépassement de la valeur de référence, il pourra se retourner contre le professionnel.
- Dans les écoles et les jardins d’enfants, la mesure de la concentration en radon est obligatoire depuis le 1er janvier 2018. En cas de dépassement de la valeur de référence, les autorités locales auront 3 ans pour engager les travaux en vue de l’assainissement du bâtiment.
- Concernant les bâtiments existants, des campagnes de mesure sont entreprises à l’initiative de projets de recherche comme le projet interreg JURAD-BAT actuellement en cours dans l’arc jurassien. Les résultats sont alors envoyés aux particuliers, mais cela ne les oblige en aucun cas à entreprendre un assainissement. Ils restent libres d’engager ou non les travaux en fonction de leur niveau d’acceptation du risque. Néanmoins, les locataires peuvent demander aux propriétaires d’agir. Il est également de plus en plus de mise d’avertir les propriétaires et de les encourager à effectuer une mesure de contrôle en amont d’un assainissement énergétique de manière à prendre en compte le risque à cette occasion si radon il y a. Les futurs propriétaires sont aussi informés du possible risque lors des transactions immobilières.
2020
Inscription du radon dans le Code de la construction des cantons
Malgré ces évolutions réglementaires, le grand public reste plus ou moins sensible à cette problématique. La communication doit donc se faire par l’intermédiaire des professionnels. A l’automne 2018, alors que les services cantonaux organisaient des réunions d’information sur le programme de subventionnement de la rénovation énergétique, nous leur avons demandé d’intégrer à leurs présentations le risque radon. Ils l’ont fait, mais ce n’était pas prévu au départ. Cette absence de prise en compte du radon lors des opérations de rénovation énergétique résulte en partie du fait que les questions sanitaires sont gérées par l’Office Fédéral de la Santé Publique (OFSP) alors que l’énergie est gérée par un autre département : la santé n’est donc en général pas intégrée dans les programmes de performance énergétique.
Le rôle des professionnels est important, que ce soit dans la sensibilisation des habitants ou dans la réalisation des travaux d’assainissement. Comment faites-vous monter en compétences les acteurs de la construction face à l’enjeu du radon ?
La formation est un point clé de réussite et elle se renforce. Il y a quelques années, la formation dédiée au radon pour les acteurs du bâtiment était de 3 jours, elle est désormais de 6 jours : 4 en cours théoriques et 2 sur le terrain + 1 jour d’examen, à la fois écrit et oral.
Son approche est complète : elle présente ce qu’est la radioprotection, l’effet du radon sur l’organisme, ses origines géologiques, des notions de métrologie, depuis la mesure en elle-même jusqu’à son interprétation… puis, sur le terrain, on approfondit en détail les protocoles de mesure, l’analyse topographique des sols, du contexte du bâtiment, les mesures préventives pertinentes pour le neuf, les meilleures actions à mettre en oeuvre pour remédier à une situation existante… Une ½ journée est aussi dédiée à la ventilation et au renouvellement d’air… enfin, les outils permettant d’aboutir à un résultat satisfaisant (notamment les appareils de mesure à positionner pendant plusieurs jours pour aboutir à un bon diagnostic), les aspects légaux et le chiffrage budgétaire des travaux préventifs ou d’assainissement sont aussi au programme.
Quelle reconnaissance les professionnels formés obtiennent-ils ?
Lorsqu’ils réussissent l’examen final, ils deviennent des consultants radon reconnus par OFSP et, s’ils en font la demande, leur nom figure sur une liste officielle. Tous les 5 ans, ils doivent suivre une journée d’actualisation de leurs connaissances. Dans certains cas, on peut demander à avoir accès aux travaux qu’ils ont réalisés. Il peut nous arriver aussi d’intervenir en cas de litige. Une fois formés, nous n’abandons pas ces consultants, mais nous les accompagnons.
Il faut noter que le radon est encore un thème mineur en Suisse : être consultant radon ne suffit pas pour gagner sa vie, ils ont d’autres activités (diagnostic amiante, par exemple).
Quels sont les profils qui se forment sur le sujet ? Quel budget cela représente pour eux ?
Nous formons essentiellement des bureaux d’études, ingénieurs et architectes, des publics Bac +3 à Bac +5, mais on a aussi d’autres profils comme par exemple des géographes, des chimistes, des géologues…
Pour les participants qui n’ont aucun lien avec le secteur du bâtiment, nous concevons un module complémentaire de 2 jours d’introduction à la construction, afin qu’ils puissent s’approprier le vocabulaire et les bases nécessaires pour bénéficier pleinement de la formation radon, qui elle, ne revient pas sur les notions de base de la construction.
Avec la nouvelle réglementation, de plus en plus de professionnels souhaitent se former : nous avons atteint 15 personnes en 2018 en Suisse Romande, et le chiffre devrait être le même en 2019.
Pour la formation de 6 jours, il faut compter 4 000 francs suisse. Outre le coût, il faut libérer une bonne semaine pour se former et effectuer le travail personnel attendu. Cela explique pourquoi nous avons peu d’entrepreneurs. C’est pour cela que dans les développements sur lesquels nous travaillons en collaboration avec la démarche pluraliste radon de Bourgogne Franche-Comté dans le cadre du projet interreg JURAD-BAT, nous prévoyons de proposer des modules de formation plus souples en termes d’agenda pour que les professionnels motivés puissent constituer leur propre parcours de progression, à leur rythme ainsi qu’un site internet qui sera inauguré le 04.06.2019 et qui offrira de nombreuses ressources techniques disponibles à tout moment. Nous devrions ouvrir ces formations dans le courant de l’automne 2019 ou début 2020. Restera ensuite à faire reconnaître ces professionnels comme des experts radon en France.
Quel est le risque pour un propriétaire de faire appel à un professionnel mal formé ?
De prime abord, le propriétaire n’a pas forcément connaissance de la problématique. Le radon étant imperceptible autrement que par la mesure, il n’est donc pas toujours simple de lui faire comprendre l’importance de l’assainissement. Il n’existe aucune aide financière en Suisse, aussi le propriétaire n’a pas forcément envie de faire cet investissement. Pour informer et convaincre, les professionnels doivent être vigilants, au fait des processus qui induisent les infiltrations de radon dans le bâtiment ainsi que de ses effets sur la santé, expliquer la problématique de manière factuelle et éviter toute émotivité. Une approche anxiogène engendre des réactions inverses qui risque de faire en sorte que l’interlocuteur rejettera toute idée d’intervenir vis-à-vis du radon.
Ensuite, en remédiation dans l’existant le risque est toujours de ne pas atteindre les résultats escomptés : si l’analyse de la situation est mauvaise, le professionnel peut utiliser une méthode inadaptée et ne pas réduire, ou trop peu, la concentration de radon. Une autre méthode devra alors être envisagée, et les coûts se cumulent. Souvent il faut d’ailleurs travailler par itération, tester la méthode et poursuivre ainsi jusqu’à atteindre l’objectif fixé. Faire appel à un professionnel formé permet d’aller non seulement sur les bons outils dès le début mais aussi de ne pas faire de travaux inutiles. Par exemple, en France, l’installation d’une membrane anti-radon est une pratique plus fréquente qu’en Suisse, pourtant, si elle est pertinente pour les bâtiments neufs, elle est beaucoup plus difficile à mettre en oeuvre efficacement en rénovation. Or elle a un coût important ! Inversement, une solution qui permet d’évacuer le radon qui se trouve sous le bâtiment, si elle est bien menée et que la perméabilité du terrain convient à ce type d’opération, peut être réalisée à un coût « relativement » raisonnable (aux alentours de 5 000 Francs suisses) et avec un bon degré de succès.
Nous privilégions le fonctionnement par itération : progresser par de petites étapes simples, pour, à chacune d’elles, actualiser les mesures et ajouter, ou non, une action complémentaire en fonction des résultats obtenus : ainsi, nous sommes sûr de proposer des solutions au meilleur rapport qualité / prix possible.
Avez-vous identifié une émergence des démarches globales, prenant en compte le radon dans une opération de rénovation énergétique, ou les différents sujets vous semblent-ils encore traités distinctement ?
Il n’y a pas d’études précises sur cet aspect donc il est difficile de répondre avec certitude. Néanmoins, mis à part les maîtres d’ouvrage engagés dans des démarches de labellisation type Minergie-Eco, il ne me semble pas que les maîtres d’ouvrage privés soient très sensibles à ce jour aux approches globales.
Quels sont les projets de recherche actuellement en cours ?
Parmi les projets en cours, nous allons commencer prochainement un nouveau projet de recherche d’ampleur porté par la SUPSI au Tessin et soutenu par l’OFSP. Il sera question d’analyser le taux de réussite d’opérations de remédiation effectuées dans l’habitat existant. Pour se faire nous allons sélectionner 200 bâtiments en Suisse auxquels nous proposerons d’effectuer une mesure de contrôle gratuite du radon. Cela nous permettra ainsi d’avoir une idée plus précise à la fois du taux de succès mais aussi de l’efficacité des différentes méthodes mises en oeuvre.
Juin 2019
Nouveau site internet franco-suisse dédié au radon et à la QAI
www.jurad-bat.net
Un dernier message pour les participants des Défis Bâtiment Santé et les lecteurs de cet entretien ?
Le mieux ne doit pas devenir l’ennemi du bien. Cela signifie que l’amélioration énergétique ne peut pas se faire au détriment de la santé et qu’il faut arriver à la concilier avec un environnement sain. Un juste équilibre doit être trouvé entre bon sens et bonnes pratiques.
Interview du 6 mars 2019 réalisée par Marie Bérenger de Kita Organisation pour Bâtiment Santé Plus
Joëlle GOYETTE PERNOT, professeur à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg, Déléguée radon de l’OFSP pour la Suisse romande et responsable du Centre romand de la qualité de l’air intérieur et du radon (croqAIR)
Depuis toujours préoccupée par les interactions Homme-Environnement et leurs effets sur la santé, Joëlle Goyette Pernot a effectué un parcours universitaire pluridisciplinaire de haut niveau (Géographie et Aménagement du territoire, climatologie urbaine, aérobiologie…) en France, au Canada et en Suisse, participant notamment à des projets de recherche sur le confort bioclimatique dans les espaces publics extérieurs ou encore à l’impact du changement climatique sur le climat de la ville.
Professeur de développement durable en architecture à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg (HEIA-FR), elle devient en 2009, l’une des trois délégués radon de l’Office fédéral de la santé publique en Suisse. Dans ce cadre, elle collabore avec les autorités à la mise en oeuvre du plan d’action national radon, elle participe à la mise en place d’un programme de formation des professionnels du bâtiment à cette problématique constructive et au suivi des consultants radon déjà formés. Dès lors, ses activités de recherche et de formation s’orientent vers le développement d’un groupe de recherche en qualité de l’air intérieur à Fribourg : croqAIR – centre romand de la qualité de l’air intérieur et du radon intégré à l’institut d’architecture Transform de la HEIA-FR au sein du smart living lab, aujourd’hui service de mesures agréé par la confédération pour la mesure du radon. A partir de 2011, elle travaille à l’élaboration d’un programme de formation continue en Qualité de l’air intérieur et dirige, dès 2013, le projet R&D collaboratif Mesqualair qui attire l’attention sur les effets délétères de la rénovation énergétique sur la qualité de l’air intérieur.
En 2016, elle lance avec ses collègues français de la démarche pluraliste radon de Franche Comté le projet interreg Jurad-Bat dont elle est responsable pour la Suisse. Il s’attelle au développement d’une plateforme en ligne de sensibilisation, information et formation à la gestion du risque radon dans le contexte plus large de la qualité de l’air des bâtiments et de la rénovation énergétique. Parallèlement à cela elle contribue à la sensibilisation des professionnels en participant à la mise en place d’évènements dédiés dans le cadre du groupe santé-bâti Suisse romande regroupant des professionnels sensibles à ces questions et oeuvrant à la mise en oeuvre de bonnes pratiques dans la construction. Elle est également impliquée dans divers autres projets de sensibilisation du public en général.