ÉCONOMIE CIRCUL' AIR,
LA SANTÉ DANS LA BOUCLE !

Le 6 juillet 2021,
Paris - Auditorium SMABTP

Marianne RITTAUDMarianne RITTAUD
Associée et directrice marketing
Circouleur

Le recyclage de la peinture, un impact positif pour l’environnement et l’homme

Circouleur a fait le pari de recycler la peinture acrylique non utilisée pour réduire l’impact environnemental des bâtiments, tout en proposant un produit haut de gamme. Comment est née cette idée ?

En 2015, mon associée Maïlys Grau, docteure en Sciences, cherchait de nouveaux projets à entreprendre… Au cours de travaux qu’elle réalisait chez elle, son regard de chimiste s’est posé sur de la peinture non utilisée et elle s’est demandé ce que devenait cette matière… Elle s’est rendu compte qu’elle était brûlée !

En France, ce sont 28 millions de litres qui sont détruits ainsi chaque année alors que, par exemple, au Québec, le recyclage de la peinture existe depuis 25 ans. Alors, pourquoi pas en France ? Maïlys a mis au point une formulation permettant d’obtenir un produit final ayant une qualité constante et haut de gamme, des couleurs homogènes, et ce, à partir d’une diversité de fonds de pots que ce soit en termes de teintes, de qualité, de vieillissement… C’est tout le talent de notre équipe R&D !

Une fois la formulation éprouvée, Circouleur a été lancé, en 2017, pour commercialiser cette solution et je l’ai alors rejoint pour apporter une fibre marketing et commerciale.

Vous dites que le recyclage de peinture n’existait pas avant Circouleur en France, pourtant, d’autres marques communiquent sur 30 ou 35% de produits recyclés dans leurs peintures. Quelle est votre différence ? Le taux de produit recyclé uniquement ?

Nous avons en effet été les premiers à créer la filière de recyclage des peintures acryliques en France, et nous sommes toujours les seuls à le faire.

D’autres initiatives se lancent ailleurs en Europe, notamment au Royaume-Uni, même si leur taux de recyclage reste bien inférieur au nôtre (inférieurs à 40% là où nous intégrons jusqu’à 95% de matière recyclée dans nos produits).

D’autres marques suivent notre lancée en France et commencent à intégrer dans leurs peintures certaines matières premières issues du recyclage mais sur des matériaux bien différents (chutes de parebrises et coquilles d’huîtres), ce qui n’évite pas l’incinération des peintures inutilisées. Nous ne répondons donc pas au même enjeu environnemental.

Un autre point sur lequel vous vous distinguez : les autres industriels proposant des peintures avec un taux de produit recyclé de 30 ou 40% évoquent une réduction des émissions de carbone de 10% environ. Votre peinture les divise par 12 ! La différence est significative… Quel est le poste qui a le plus d’impact ?

Nous travaillons justement sur l’ensemble des postes ! En utilisant au moins 70 % de matières recyclées, toutes originaires de France métropolitaine, nous limitons déjà beaucoup le transport. Pour fabriquer une peinture neuve, les matières premières viennent souvent de très loin, d’Afrique du Sud ou d’Australie pour certaines d’entre elles, donc réaliser son sourcing en France change tout ! Ensuite, notre procédé de fabrication est beaucoup moins énergivore, les pots sont en plastique recyclé… Bref, l’impact carbone est pensé à chaque étape de notre process, c’est une véritable démarche d’entreprise.

Et pour la collecte des pots usagés, comment travaillez-vous avec la filière du recyclage ?

Nous travaillons aujourd'hui avec les acteurs qui organisent déjà la collecte et le traitement des déchets de peintures acryliques. Nous leur proposons une alternative plus vertueuse que l’incinération, et souvent plus économique.

Nous travaillons avec eux pour développer un réseau de déchetteries partenaires, qui vont parfois jusqu’à intégrer des bennes dédiées aux peintures acryliques au sein des déchetteries : les gardiens en déchetterie réalisent alors eux-mêmes le tri des peintures recyclables.

Le tri au plus près du terrain sensibilise tout le monde à la deuxième vie de la peinture. C’est important de le dire, de montrer les actions concrètes que peut engendrer le simple geste du tri. Les gardiens en déchetterie sont incités à valoriser cela auprès des personnes qui déposent leurs déchets.

Recycler les déchets, c’est bien. Éviter qu’ils existent, c’est encore mieux ! Avez-vous une démarche de sensibilisation sur l’importance d’acheter des produits au « juste nécessaire » pour limiter la quantité résiduelle ?

On essaie d’accompagner le consommateur en donnant des indications de quantité nécessaire, de façon à ce que les clients fassent les choix les plus adaptés. Mais pour la peinture, cela reste un exercice difficile : le rendement d’un pot de peinture reste aléatoire car il va dépendre de la porosité de la surface, de la « générosité » du peintre, du mode d’application…

Nous veillons à proposer un prix juste : à qualité haut de gamme équivalente, nos peintures sont moins chères que les marques traditionnelles. Nous souhaitons sortir de l’adage « ce qui est écologique est cher ». Notre modèle économique est basé sur l’accessibilité des produits au plus grand nombre : nous souhaitons que le prix ne soit pas un frein à l’achat, et nous travaillons pour cela avec nos distributeurs. Côté grand public, nous sommes présents notamment dans les magasins 4murs et Brico E. Leclerc qui ont été les premiers à jouer le jeu.

Et bien sûr, nos propres peintures sont recyclables : on vient d’ailleurs de voir arriver nos propres pots en recyclage, c’est assez enthousiasmant ! On referme la boucle, c’est vraiment la fin du gaspillage.

Et pour les clients professionnels, quels sont les interlocuteurs dans les entreprises que vous devez convaincre en priorité pour développer vos produits ?

Nous travaillons en direct avec les professionnels : le groupe Bouygues, Eiffage, Aquitanis… Beaucoup de bailleurs sociaux nous sollicitent… Les profils qui s’intéressent à nos solutions sont très variés, soit ils portent le développement durable, l’économie circulaire dans l’entreprise, soit ils sont plutôt en charge de l’innovation. Nous sommes bien sûr sollicités par des architectes… mais aussi par des conducteurs de travaux ! Il n’y a pas de règle, tout le monde peut enclencher une dynamique de chantier plus responsable !

Pourquoi cette logique de recyclage des peintures existe au Québec depuis des années, et qu’elle n’avait pas émergé en France ? Quels sont les freins que vous avez dû lever pour mettre votre produit sur le marché ?

Jusque récemment en France, la réglementation n’était pas adaptée à ce type de produits : 10 ans plus tôt, nous ne serions entrés dans aucune case ! Nous avons missionné un cabinet d’avocats spécialisé pour nous assurer en amont de la faisabilité juridique de notre projet, et de ce qu’il fallait faire évoluer pour avancer plus rapidement.

En parallèle, le contexte a été favorable, en particulier, la loi Anti-Gaspillage et Economie Circulaire de 2020 et l’arrêté de 2019 fixant les critères de sortie du statut de déchets a permis de clarifier le cadre réglementaire de notre produit. On pressentait que le mouvement allait dans le bon sens… et nous sommes arrivés au bon moment. La chance nous a souri !

Comment est abordé votre peinture dans la RE 2020, au regard des éléments de la réglementation que nous connaissons aujourd’hui ?*

En divisant l’impact carbone des peintures par plus de 12, notre solution est très intéressante dans le cadre de la RE 2020. Pourtant, la peinture recyclée pourrait être encore mieux valorisée : par exemple, en tant que nouveau produit, la durée de vie de la peinture recyclée a été minorée à 7 ans au lieu de 10 ans pour les peintures acryliques neuves équivalentes. Notre ACV pourrait donc être encore meilleure !

Notre peinture reste une solution très intéressante dans le cadre de la RE 2020 pour atteindre le niveau C2 pour lequel chaque matériau a son importance. L’impact carbone de la peinture, s’il est moindre que celui du gros œuvre sur lequel les acteurs se penchent en priorité, fait partie des leviers qui permettent de gagner les derniers points de progrès…

Les produits recyclés souffrent parfois d’un déficit d’image, sur l’esthétique, la fiabilité des couleurs…

C’est vrai, et c’est pourquoi nous avons choisi de fabriquer un produit premium, avec une grande vigilance concernant l’aspect qualitatif. Les peintres sont unanimes. Tous ceux qui ont testé notre peinture — même si cela reste un retour des clients et non une étude scientifiquement menée — ont confirmé qu’ils ne voyaient pas la différence entre la peinture recyclée et un autre produit de même gamme. Il est très important que nos produits soient conformes aux attentes des professionnels, car une mauvaise expérience a un fort impact.

Et côté Grand Public, notre positionnement haut de gamme fonctionne aussi : nous avons réussi notre pari et j’espère que nous contribuons à notre niveau à redorer l’image des produits recyclés.

Comme tous les produits de finition et d’aménagement, la peinture impacte directement la qualité de l’air intérieur. Quelles sont les caractéristiques de vos produits ?

Pour les composés organiques volatils (COV) des peintures, la teneur totale est, depuis la directive européenne de 2004, exprimée en gramme par litre. L’étiquetage obligatoire des produits de décorations est basé sur les émissions des COV exprimées en microgramme par m3. Les mesures en chambre d’essai, réalisées par Nobatek, témoignent de très faibles émissions des peintures recyclées : moins de 30 µg/m3 de COV totaux alors que le seuil maximal pour être classé A+ est de 1 000 µg/m3.

Cela est dû au fait que nous récupérons des peintures qui ont déjà été ouvertes : les COV se sont donc déjà volatilisés lors de la première ouverture des pots ! Si on ajoute à cela une bonne formulation chimique, on peut atteindre des taux très bas, même avec l’ajout d’une fraction de composants neufs, évidemment judicieusement bien sélectionnés.

Quels sont vos critères pour ne pas introduire dans la chaîne du recyclage une peinture très ancienne, qui contiendrait potentiellement des substances désormais non autorisées, par exemple certains éthers de glycol ?

Aucun risque n’est pris : au moindre doute, soit une analyse en labo est réalisée, soit le recyclage de la peinture est exclu. Nos manutentionnaires ont des consignes très précises, et ont acquis une expérience solide. Si la fiche technique de la peinture avec la composition est obtenue, le choix est clair. En l’absence d’informations et de diagnostic certain, la peinture récupérée n’est pas recyclée.

Pour faire mieux reconnaître votre produit sur le marché, prévoyez-vous des labellisations ?

Ce n’est pas au programme à ce jour : nous avons déjà une très belle visibilité sur le marché malgré cela, et la majorité des labels demandent de fournir une composition exacte des produits, ce qui n’est pas possible avec un produit recyclé.

Les peintures recyclées seraient éligibles à des labels dédiés à l’économie circulaire, comme Cradle to Cradle que nous suivons de près. En revanche, nos produits permettent à nos clients d’obtenir des labellisations : E+C-, OsmoZ, Well…

À court terme, la labellisation vers laquelle nous nous tournons n’est pas liée au produit, mais au modèle de l’entreprise : il s’agit de B Corp, un label lié à la démarche globale de la structure qui prend en compte la politique de ressources humaines, les modes de fabrication… enfin tout ce qui permet à une entreprise d’avoir des effets positifs sur son environnement, tout en ayant une activité commerciale rentable. C’est un vrai challenge… et cela nous correspond bien. Trier de la peinture, c’est un nouveau métier… il n’existe pas de Bac + 5 en la matière ! Il faut dans tous les cas former nos agents. Alors autant travailler avec des entreprises de réinsertion professionnelle et donner leur chance à des personnes en difficulté sur le marché du travail. Un collaborateur a été recruté dans cette démarche et nous en sommes ravis. Les structures spécialisées accompagnent les entreprises afin que l’intégration se passe bien. Un ESAT participe aussi à l’étiquetage des pots de peintures.

Quels sont vos projets de développement à moyen terme ?

Améliorer nos gammes et les diversifier est notre principal axe de développement. A ce jour, le choix proposé à nos clients reste restreint, malgré plusieurs teintes et un nuancier renouvelé à chaque saison. Nous allons donc travailler en priorité sur notre gamme actuelle et son extension en fonction des besoins remontés par nos clients.

Pour le moment nous nous concentrons sur le marché français, toujours dans une logique de circuit court. Et pourquoi pas, un jour, faire des petits un peu partout en Europe ?

Interview du 2 février 2021 réalisée par Marie Bérenger de Kita Organisation pour Bâtiment Santé Plus


Titulaire d’un MBA de l’ESSEC Business School, Marianne Rittaud débute avec des missions sur le marché BtoC, notamment dans le secteur de la téléphonie, avant de laisser sa sensibilité environnementale s’exprimer dans son parcours professionnel. Elle passe notamment deux ans chez Sunna Design, où elle participe à des projets d’électrification en Afrique rurale. En 2017, elle rejoint Circouleur dont elle devient associée, et prend en charge la stratégie marketing et commerciale, autant en BtoB qu’en BtoBtoC.

* N.B. l’interview étant réalisée début février 2021, tous les indicateurs et critères de la RE 2020 ne sont pas encore connus lorsque ces lignes ont été écrites.

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