Structurer localement la filière du bâtiment et favoriser sa montée en compétences : la réponse du projet ECO BATIVAL aux défis de l’économie circulaire et de la santé
Interview des porteurs du projet à la direction du développement et de l’animation économique de la Communauté d’agglomération du Sicoval
Pascale Bigourdan,
Directrice du projet ECO BATIVAL
Anthony Berges-Cau,
Chargé de mission ECO BATIVAL
ECO BATIVAL est porté par la communauté d’agglomération Sicoval. Nous ne connaissons pas de projet équivalent en France, pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ?
Anthony Berges-Cau. Nous regroupons 36 communes dans le Sud Est Toulousain, avec des zones majoritairement urbaines au nord et rurales au sud. Nous sommes un territoire périurbain qui accueille chaque année 2 000 habitants supplémentaires, ce qui représente une belle dynamique. Les élus, quels que soient les changements au fil du temps, ont toujours été sensibles au développement durable et à l’innovation avec des projets comme « Territoire Zéro Déchets » ou encore un Projet Alimentaire de Territoire.
Notre territoire est structuré en différentes zones d’activités. Nous avons besoin d’équilibrer l’ensemble et c’est ainsi qu’a émergé le projet de concevoir une ZAC à énergie positive, la ZAC du Rivel, sur 110ha, avec un objectif
de 2500 emplois créés autour d’activités liées à l’écoconstruction, aux énergies renouvelables, à l’économie circulaire… des activités qui ont un bel avenir mais dont la filière manque encore de structuration. La ZAC est très bien desservie, à proximité de l’autoroute, donc très attractive pour les entreprises.
Prévoyez-vous un quartier mixte où les logements côtoient l’activité économique ?
Pascale Bigourdan. Dans la première phase du projet, nous veillerons surtout à ce que les entreprises qui s’implantent répondent aux exigences environnementales de la zone. En parallèle, nous mènerons la réflexion sur la mixité d’usage pour garantir aux salariés de la ZAC d’être logés à proximité de leur emploi.
Plus qu’un simple bâtiment démonstrateur, Eco Batival, c’est d’abord une nouvelle méthodologie appuyée sur la co-construction avec les acteurs locaux pour faire progresser la filière. En quoi la démarche consiste-telle exactement ?
Anthony Berges-Cau. La filière du bâtiment est positionnée au croisement des transitions énergétique, environnementale et numérique que nous vivons. Elle a tous les atouts pour y répondre, mais doit être accompagnée car les métiers se transforment de manière accélérée et le secteur est largement constitué d’autoentrepreneurs ou TPE qui n’ont pas les ressources pour déployer seules des politiques de formation ou d’innovation à long terme. Pour répondre aux nouveaux besoins et se saisir des opportunités du marché à des coûts compétitifs, les méthodes et les compétences des acteurs locaux doivent évoluer, la mutualisation des ressources et le fonctionnement en réseaux de partenaires être encouragés. Par ailleurs, le secteur peine à recruter. Il est nécessaire de rendre attractif les métiers du bâtiment.
Eco Batival, c’est d’abord un projet de territoire, porté par le Sicoval mais co-construit avec l’ensemble des acteurs locaux et régionaux de la construction pour apporter une réponse concrète à leurs problématiques actuelles : nouvelles règlementations RE2020, recrutement, formation, digitalisation...
Pascale Bigourdan. Au lancement du projet, avec Anthony, nous ne connaissions pas bien le secteur de la construction : cela a été l’une de nos forces ! Nous avions besoin d’aller sur le terrain rencontrer les acteurspour les comprendre et avancer dans nos travaux. Nous y sommes allés avec une certaine naïveté, beaucoup de recul et des façons de travailler nouvelles pour certains acteurs. Généralement, les démarches participatives appliquées aux projets de construction impliquent les futurs occupants et riverains, de façon à identifier leurs attentes, mais l’amont est rarement intégré. Qu’est-ce que les acteurs locaux — artisans, architectes, bureaux d’études, PME industrielles, etc. — peuvent réaliser avec les ressources et les compétences dont ils disposent ? De quoi ont-ils besoin pour progresser, qu’il s’agisse de formations, d’infrastructures, de réseaux de partenaires… ? Quelles conditions économiques doivent-elles être réunies pour que le projet soit viable pour eux ?
Anthony Berges-Cau. En 2019, nous avons étudié l’environnement. Nous avons mené des entretiens exploratoires, rencontré les fédérations, les entreprises, les laboratoires, les associations, les spécialistes du réemploi de matériaux, le Dr Déoux comme experte de la santé, des organismes de formation… bref, nous avons fait un 360° de la filière sur le territoire. En 2020, nous avons mené l’étude de faisabilité, positionné l’offre de services, analysé les montages financiers possibles. En 2021-2022, nous mettrons en place les schémas de gouvernance et constituerons les premiers cercles d’acteurs sur lesquels s’appuyer ensuite. L’objectif est d’ouvrir le bâtiment démonstrateur en 2025.
Cette année, la thématique des Défis Bâtiment Santé est « Économie circul’AIR, la santé dans la boucle ». Comment sont intégrées ces 2 thématiques dans le projet Eco Batival ?
Anthony Berges-Cau. A ce stade, la réflexion est en cours et les solutions concrètes pas encore choisies. Tous les acteurs rencontrés sont sensibles aux enjeux de la santé et de l’environnement. Ils veulent travailler pour le confort des occupants, et s’interrogent sur le réemploi, la déconstruction, l’économie circulaire… surtout sur les réglementations encadrant ces nouveaux sujets. Bien sûr, nous intégrerons la santé dans la démarche, nous verrons notamment comment sensibiliser les entreprises à des sujets comme la qualité de l’air, par exemple, via les Ateliers Airbat, dont le développement a été soutenu par l’ADEME.
Une fois le bâtiment livré, sa vocation sera d’accueillir des formations, des expérimentations, des entreprises innovantes, une halle d’exposition, un Fab Lab, des espaces de co-working afin de créer une émulation et faire progresser la filière sur le sujet du réemploi, des matériaux biosourcés, du lien au monde agricole et globalement à la construction durable.
Nous ne voulons pas créer des choses qui existent déjà par ailleurs, mais nous avons pour vocation de mutualiser les ressources et d’offrir un lieu où les compétences se rencontrent, se complètent, créer une dynamique vertueuse pour tous. Par exemple, pour la formation, nous n’organisons aucune formation nousmêmes, mais nous aurons des plateaux techniques et tout organisme de formation pourra demander à l’utiliser à condition que les thématiques qu’il propose entrent dans le périmètre du projet. Il y aura sûrement des formations sur la santé ! De même pour le Fab Lab, les centres de R&D, les PME innovantes pourront l’utiliser pour leurs expérimentations, tester leurs prototypes.
Pascale Bigourdan. Nous avons un vrai rôle d’accompagnateur. Nous aidons ces entreprises à créer du lien entre elles et nous établissons aussi des connexions avec des acteurs en dehors de la région, des pôles de compétitivité sur les mêmes sujets. En fonction des préoccupations que les parties prenantes exprimeront, nous lancerons des groupes de travail dédiés sur les matériaux, le respect de l’humain, la santé…
Une autre idée qui nous tient à coeur et devrait se concrétiser, c’est d’apporter des conseils juridiques et financiers aux entreprises. Pour les PME, l’univers administratif est complexe et elles ont de réels besoins : obtenir des financements, faire un dossier de labellisation, recruter… Nous aimerions mettre en place des permanences avec des experts disponibles.
Et n’oublions pas : il s’agira d’un bâtiment démonstrateur, donc un support de formation et de sensibilisation. Nous mettrons en avant les projets pionniers et pratiques exemplaires de construction / déconstruction, d’utilisation optimale des matériaux, de prise en compte de la santé dans le bâtiment. La halle d’exposition et les salles de conférences permettront de mener des opérations à destination du grand public : présenter des produits sains et performants, les expliquer aux participants, soulever les points de vigilance sur certains produits importés avec des contraintes sanitaires qui peuvent être moins exigeantes que les nôtres.
Enfin, nous allons communiquer à l’attention des jeunes, leur faire découvrir les métiers du bâtiment et ceci, dès 2022. Nous organiserons des visites de chantier et aborderons toutes les thématiques : qualité de l’air, acoustique, environnement, effets psychologiques du bien-être dans le cadre bâti… nous ferons appel à des experts comme c’est déjà le cas avec le Dr Déoux.
Anthony Berges-Cau. Effectivement, nous n’attendrons pas 2025 pour faire vivre Eco Batival ! Dès 2021, nous menons des actions concrètes. Les acteurs en ont besoin, l’attente est forte : nous avons participé à la semaine de l’apprentissage en mars, nous organisons des découvertes des métiers du réemploi, des métiers du numérique, nous réalisons des vidéos et webinaires… et les premières visites de chantier auront lieu dès ce printemps. L’identité de la marque doit aussi émaner des acteurs qui coconstruisent le projet. Un hackathon dédié est organisé en septembre.
Comment réagissent les acteurs de la construction à cette démarche nouvelle ? Les TPE et PME ont souvent peu de temps à accorder à des approches dont les résultats se traduisent à long terme. L’implication est-elle satisfaisante ?
Pascale Bigourdan. Très satisfaisante. Nous avons réalisé deux enquêtes, une à destination des entreprises potentiellement intéressées pour s’implanter sur la zone et une à destination des acteurs du projet susceptibles de gérer ensuite les espaces. Certains d’entre eux ont déjà émis l’idée d’installer leurs locaux à Eco Batival. À suivre !
Interview du 22 mars 2021 réalisée par Marie Bérenger de Kita Organisation pour Bâtiment Santé Plus
Consultante en gestion prévisionnelle des emplois et compétences à la Chambre de Commerce de Paris, Pascale Bigourdan rejoint le Sicoval en 2011 pour organiser la prise de compétences des services à la personne. En 2019, elle prend la direction du projet Eco batival.
Titulaire d’un master en management de projets industriels, Anthony Berges-Cau a débuté son parcours dans des missions liées à la transformation des organisations avant de rejoindre Sicoval en 2019, pour prendre en charge les projets d’écoconstruction. Il devient rapidement chef du projet Eco Batival. Parallèlement, il intervient comme professionnel à l’Université de Toulouse Jean-Jaurès, où il partage son expérience terrain sur des thématiques comme la conduite de projets, l’économie circulaire, la construction durable… et accompagne des étudiants en tant que directeur de mémoire.