Marianne RITTAUDDr Suzanne Déoux
Docteur en médecine,
Présidente de Bâtiment Santé Plus,
Organisatrice du colloque Défis Bâtiment Santé
Fondatrice de MEDIECO Conseil & Formation

« Une approche globale reste toujours difficile »

Depuis 35 ans, Suzanne Déoux alerte les professionnels du bâtiment et la sphère publique sur les préoccupations sanitaires dans le logement. Médecin spécialiste ORL, Professeur associée honoraire de l’Université d’Angers, Initiatrice de l’ingénierie de santé du cadre bâti et urbain, elle a conçu le Master RISEB - Risques en santé dans l'environnement bâti - et fondé, en 1986, le cabinet de conseil MEDIECO pour accompagner les acteurs de la construction à la prise en compte de la santé dans les projets. Présidente de l'association Bâtiment Santé Plus, elle organise depuis 2011 le colloque national "Les Défis Bâtiment Santé". 

Vous avez fait des préoccupations sanitaires dans le logement votre cheval de bataille. La prise de conscience a-t-elle évolué sur ces sujets ?

Effectivement, en 35 ans la prise en compte de la santé dans l'environnement bâti et urbain a progressé! On a pris conscience qu'on ne respirait pas seulement à l'extérieur, mais aussi dans les bâtiments. Peu à peu, on se préoccupe donc de la qualité de l'air intérieur, par exemple, avec l'étiquetage obligatoire des émissions de dix polluants et de la somme des composés organiques volatils. L'impact de l'environnement acoustique est un peu mieux pris en compte, car le bruit n'est pas seulement une gêne mais un agent perturbateur de notre système neurovégétatif, de jour comme de nuit. L'apport de lumière naturelle, qui ne sert pas qu'à voir mais aussi à synchroniser tous nos rythmes biologiques, bénéficie de la valorisation liée aux économies d'énergie. Avec ces exemples, on le voit bien: les préoccupations sanitaires inspirent davantage les décisionnaires dans le monde du bâtiment, mais une approche globale reste toujours difficile. C'est le plus souvent une démarche fragmentaire ... 

La crise sanitaire actuelle a-t-elle eu un impact ?

L'enquête Diagnostic Bâtiment Santé 2021 (voir encadré p. 12) a mesuré un effet bénéfique et inattendu de la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid-19, qui a modifié la prise en compte de la santé par près de 40%des acteurs du bâtiment. Cet "effet COVID" concerne surtout, à 67,7%, le groupe des maîtres d'ouvrage, investisseurs et foncières. La qualité de l'air intérieur, avec une plus grande attention au renouvellement d'air par l'aération et la ventilation, est très fortement mise en avant dans les réponses spontanées des participants. Ensuite, la conception des bâtiments (logements et tertiaires) doit s'adapter aux nouveaux usages, dont le télétravail, limiter le risque de grande promiscuité et offrir des espaces extérieurs. 

Le dernier colloque Défis Bâtiment Santé, que vous avez organisé en juillet 2021, était axé sur l'économie circulaire. En quoi le réemploi et le recyclage peuvent-ils impacter l'aspect sanitaire dans la construction et la réhabilitation ? 

Comme l'indiquait le titre du colloque Économie circul'air, la santé dans la boucle, un nouveau défi apparaît: on ne peut envisager cet enjeu environnemental sans une réflexion sanitaire sur les diverses solutions proposées d'écoconception des bâtiments et des produits, de recyclage et surtout des produits de réemploi qui, pour l'instant, ne sont soumis à aucune évaluation sanitaire globale préalable à leur utilisation. Il est par exemple nécessaire de prendre conscience que d'anciens panneaux bois installés dans les bâtiments alors qu'aucune contrainte réglementaire n'existait, continuent à émettre du formaldéhyde lors de leur seconde vie. Et les locaux utilisant des dalles de plancher en panneaux de particules réemployés présentent des concentrations en formaldéhyde de 2 à 7 fois plus élevées que·dans des locaux qui en sont dépourvus. 

La RE 2020 favorise l'emploi de matériaux biosourcés et géosourcés. Peuvent-ils générer des problèmes de santé dans les logements ? 

Les matériaux géosourcés peuvent être dits "premiers", c'est-à-dire qu'ils demandent peu de transformation, comme la terre, dont le contenu en polluants doit être évalué selon sa provenance, notamment si elle est issue de friches industrielles. Certains matériaux minéraux issus de l'écorce terrestre peuvent être source de radon, gaz radioactif naturel, et de rayonnement gamma. Le décret du 4 juin 2018 demande que les matériaux naturels type granits, pouzzolane, lave (pierre ponce) aient un indice d'activité inférieur à 1. 
Pour les matériaux biosourcés, qui contiennent une teneur très variable de biomasse végétale et animale, il y a plusieurs points de vigilance: leur résistance au développement de moisissures en cas d'excès d'eau et de séchage insuffisant, mais aussi de conditions d'humidité mal maîtrisées; les émissions de composés volatils comme les terpènes, !'acétaldéhyde et le formaldéhyde; la présence de composés d'ignifugation ... 

Propos recueillis par Diane Valranges .

  Cliquez ici pour télécharger l'interview au format PDF